Le Dr Shawn Aaron n’a pas nourri le projet de devenir chercheur depuis un jeune âge. Au début de sa carrière, ce pneumologue – médecin spécialisé dans les maladies des poumons – entrevoyait plutôt un avenir directement auprès des patients. Il est toutefois tombé en amour avec la recherche à L’Hôpital d’Ottawa et est devenu scientifique principal à l’intersection de la recherche et des soins cliniques.
En plus, le Dr Aaron est chercheur principal et directeur du Réseau canadien de recherche respiratoire, dont l’objectif est de réunir des chercheurs de différentes disciplines afin qu’ils travaillent de concert pour améliorer la compréhension des origines et de la progression des maladies chroniques des voies respiratoires au Canada.
En reconnaissance de sa recherche axée sur l’innovation pratique, le Dr Aaron a reçu le Prix du mérite scientifique Dr J. David Grimes en 2023.
Vous aimeriez savoir pourquoi le Dr Aaron a choisi de travailler à L’Hôpital d’Ottawa, ce qui l’enthousiasme à propos de l’avenir et ce qui différencie la recherche du tennis à ses yeux? Poursuivez votre lecture!
Q : Pouvez-vous nous parler de votre cheminement vers la médecine?
R : Je suis né à Montréal à l’âge des ténèbres de 1964. Je figure parmi les derniers bébé-boumeurs. J’ai grandi à Montréal. J’y ai fréquenté l’école publique et j’ai obtenu mon diplôme de premier cycle à l’Université McGill. Je suis ensuite entré à la Faculté de médecine de la même université. À la fin de mes études, je suis allé à Toronto et j’ai suivi une formation d’interniste et de pneumologue, c’est-à-dire de médecin spécialisé dans les maladies pulmonaires. Ensuite, j’ai suivi une formation en soins intensifs. À la fin de cette formation, je ne me sentais toutefois pas suffisamment aguerri. Je suis donc venu à Ottawa et j’ai fait une maîtrise en épidémiologie. Je l’ai terminée en 1999, et à ce moment-là, à l’âge de 99 moins 64 ans, j’ai senti que je pouvais maintenant avancer d’un pied ferme.
C’est alors que j’ai commencé ma carrière de chercheur.
Q : Qu’est-ce qui vous a attiré vers la recherche?
R : Je pensais que j’allais simplement devenir médecin spécialisé en médecine respiratoire dans la communauté. Lorsque je me suis mis à la recherche d’un emploi dans ce domaine, ma femme – qui est obstétriciennegynécologue et a grandi ici – a voulu venir à Ottawa. J’ai communiqué avec L’Hôpital d’Ottawa, qui m’a répondu : « Nous serions ravis de vous accueillir, mais nous voulons que vous suiviez une formation de chercheur. ». J’ai répondu : « Très bien, bien sûr, je vais essayer. ». Finalement, je suis tombé en amour avec l’idée de faire de la recherche comme gagne-pain.
« La recherche n’est pas un sport individuel. »
Dr Shawn Aaron
La recherche n’est pas un sport individuel. Ce n’est pas comme le tennis; la recherche, c’est plus comme du football ou du baseball. Je travaille avec des statisticiens, des gestionnaires de programmes de recherche et des coordonnateurs de recherche. Il y a une équipe entière qui soutient la recherche. Sans cette équipe, je n’aurais jamais pu réussir. Je me vois un peu comme l’entraîneur d’une équipe de football.
Q : Vous êtes spécialisée en fibrose kystique et en MPOC, soit deux maladies pulmonaires chroniques. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à leur sujet?
R : Ce sont deux maladies pulmonaires débilitantes. La fibrose kystique est d’origine génétique et touche donc les jeunes dès l’enfance. Lorsque j’ai commencé à exercer, nos patients mouraient régulièrement dans la vingtaine ou la trentaine. C’était dévastateur. Vous pouvez imaginer à quel point c’est terrible pour les patients et leur famille, et même pour les professionnels de la santé. La bonne nouvelle, c’est qu’au cours des cinq ou six dernières années, nous avons considérablement amélioré les traitements contre la fibrose kystique. Les patients mènent une vie presque normale. Nous pensons que leur espérance de vie, lorsque nous disposerons de plus de données, sera au moins 60 ou 70 ans. C’est une réalisation fantastique qui m’a procuré une joie incroyable en tant que clinicien.
La MPOC (soit la maladie pulmonaire obstructive chronique) est l’exact opposé de la fibrose kystique. Elle touche les personnes âgées d’une façon débilitante parce qu’elle provoque un essoufflement important. Beaucoup d’entre elles ont besoin d’oxygène. Vous en avez peut-être vu dans des endroits publics avec un tube d’oxygène dans le nez. L’aspect le plus frustrant, au sujet de cette maladie, est que nous n’avons pas encore mis au point de remède magique comme pour la fibrose kystique. Malheureusement, malgré mes 30 années d’exercice, mes patients atteints de la MPOC sont encore très handicapés et, malheureusement, ils meurent encore à cause de cette maladie.
Q : De quelle façon votre recherche change-t-elle les soins offerts aux patients?
R : J’ai transformé mon mémoire de maîtrise pour en faire un article dans le New England Journal of Medicine. On peut donc dire que j’ai atteint le sommet très tôt dans ma carrière. C’était une étude sur des patients présentant des crises aiguës de la MPOC. Nous avons montré que lorsque nous leur donnons de la prednisone, un puissant stéroïde anti-inflammatoire, ils présentaient moins de rechutes. Nous avons donc prouvé que la prednisone est efficace dans ce domaine. Cette preuve n’existait pas auparavant. Aujourd’hui, la prednisone est la norme de soins.
Plus tard, j’ai collaboré à une étude sur une combinaison d’inhalateurs pour traiter la MPOC. Nous voulions voir si nous pouvions prévenir les crises par cette combinaison. Nous avons émis l’hypothèse – ce n’était pas une certitude – que la combinaison des inhalateurs pourrait être plus efficace. Nous avons réalisé le premier essai clinique sur l’utilisation de la trithérapie contre la MPOC et nous avons montré qu’elle était plus efficace à de nombreux chapitres.
En ce qui concerne les projets actuels, nous avons lancé une vaste étude qui prendra fin en janvier 2024. Elle tente de contrer le fait qu’en tant que professionnels de la santé, nous ne sommes pas très efficaces pour détecter et traiter la MPOC. Le problème fondamental, dans le traitement de la MPOC en 2023, c’est qu’au moment où le patient va consulter un médecin en raison d’un essoufflement, il est trop tard. Il a déjà perdu ses poumons; ses poumons sont détruits. Malheureusement, cela signifie que les médecins ferment la porte de la grange après que les chevaux se sont enfuis. Nous essayons de traiter une maladie qui est rendue à un stade très avancé. Ma recherche vise à établir s’il est possible de dépister la maladie à un stade beaucoup plus précoce que dans le cadre d’un diagnostic conventionnel – et ainsi de commencer le traitement beaucoup plus tôt afin de prévenir la progression de la maladie, l’invalidité et la mort.
Dans le cadre de cette étude, nous avons recruté au hasard plus de 3 000 Canadiens qui se plaignent de symptômes respiratoires, mais qui n’ont pas reçu de diagnostic de maladie pulmonaire. Nous utilisons la spirométrie, soit un test simple, pour mesurer la vitesse à laquelle ils soufflent dans un tube. Ce test est sécuritaire et simple, dure 15 minutes et nous permet de repérer des personnes atteintes de MPOC ou d’asthme qui n’ont jamais reçu de diagnostic auparavant. Autrement dit, ce sont des personnes qui sont essoufflées, qui toussent ou qui ont une respiration sifflante et qui ignorent qu’elles sont malades. Après le dépistage, nous les répartissons de façon aléatoire dans le groupe qui reçoit un traitement intensif ou le groupe qui reçoit les soins habituels. L’objectif est de vérifier si nous pouvons améliorer les résultats des patients grâce au dépistage précoce, au traitement intensif précoce et à l’éducation. C’est véritablement palpitant parce que nous faisons une chose qui n’a jamais été faite auparavant pour essayer de repérer et de traiter les gens tôt et déterminer si nous pouvons contrer la progression de la maladie.
Q : Pourquoi travaillez-vous à L’Hôpital d’Ottawa depuis si longtemps?
R : L’Hôpital d’Ottawa m’a donné ma chance. J’étais un débutant qui devait se perfectionner. L’Hôpital m’a trouvé assez prometteur pour me choisir, donc j’ai toujours senti une affinité. Il y a aussi d’autres raisons. L’Hôpital d’Ottawa et l’Université d’Ottawa soutiennent vraiment les jeunes chercheurs et nous permettent de croître à notre propre rythme. Ils nous apportent le soutien dont nous avons besoin.
« L’Hôpital d’Ottawa est un endroit extraordinaire pour faire de la recherche et du travail clinique, non seulement au Canada, mais dans le monde entier. »
Dr Shawn Aaron
L’Hôpital d’Ottawa est un endroit extraordinaire pour faire de la recherche et du travail clinique, non seulement au Canada, mais dans le monde entier. Nous disposons d’un groupe incroyable de chercheurs de calibre mondial. Je songe notamment à des domaines comme la thérapeutique cellulaire, l’épidémiologie clinique, la physiologie musculaire, la biologie moléculaire et les neurosciences. En venant ici, on bénéficie d’un excellent mentorat, d’excellentes possibilités de collaboration et d’un environnement de soutien qui aide à réussir.
Q : Qu’est-ce qui vous enthousiasme à propos de l’avenir de la pneumologie?
R : Trouver de nouvelles méthodes pour mieux traiter la MPOC et l’asthme. Comme je l’ai dit plus tôt, l’une d’entre elles consistera à dépister à un stade précoce et à essayer de traiter à un stade précoce. Au cours des cinq prochaines années, nous allons cerner non seulement les avantages cliniques du dépistage précoce, mais aussi les avantages économiques. Nous allons également essayer de comprendre comment mettre à profit les techniques d’apprentissage automatique, c’estàdire l’intelligence artificielle, pour améliorer davantage le dépistage précoce. Pour l’instant, nous utilisons de bons vieux questionnaires et des entretiens téléphoniques pour déterminer qui pourrait être malade et qui devrait venir passer des tests.
Q : Qu’avez-vous ressenti en recevant le Prix du mérite scientifique Dr J. David Grimes qui récompense le travail que vous avez accompli?
R : J’ai ressenti plusieurs choses. J’ai d’abord été incroyablement touché. Je ne pensais vraiment pas mériter ce prix parce que je connais des scientifiques extraordinaires à L’Hôpital d’Ottawa et beaucoup d’entre eux sont beaucoup plus intelligents et meilleurs que moi. J’ai été surpris de recevoir ce prix. Ça m’a fait aussi un immense plaisir, bien évidemment. J’ai également été un peu triste parce que le prix récompense une carrière et qu’il est généralement décerné à des personnes qui sont sur le point de prendre leur retraite ou qui l’ont déjà prise. C’est donc le signe que j’approche de la fin de ma carrière, mais je pense qu’il me reste encore cinq ans avant de sombrer dans l’oubli. Je suis déterminé à tirer le meilleur parti de ce qu’il me reste et à continuer à mener des projets de recherche décisifs.
Q : Comment vous occupez-vous en dehors du travail?
R : C’est facile : je vais au chalet dans l’Outaouais. J’y fais du kayak l’été et de la raquette l’hiver. C’est mon lieu de prédilection. J’espère que je serai toujours en santé lors de mon départ à la retraite pour pouvoir de profiter de ces activités.