Publié : août 2024

Comme de nombreux étudiants universitaires, Erin Brown, qui suit des études de premier cycle en kinésiologie à l’Université d’Ottawa, brûle la chandelle par les deux bouts. Lorsqu’elle commence à se plaindre de maux de tête, de nausées et d’éblouissements, son entourage pense qu’elle en fait trop. Même son médecin lui dit d’abord : « Vous devez vous ménager ». Mais lorsque les symptômes s’aggravent, Erin comprend vite qu’il ne s’agit pas de stress ou d’épuisement, mais d’une tumeur cérébrale d’un type sans précédent dans le monde.

La jeune femme de 21 ans est en cinquième année de cinétique humaines en 2018 lorsque les symptômes commencent à se manifester. Lorsqu’ils s’aggravent, elle va voir son médecin de famille, qui effectue des examens neurologiques, sans pouvoir en déterminer la cause. « Il me dit que, si les symptômes persistent, je devrais aller à l’urgence la plus proche pour passer des examens d’imagerie », explique Erin.

Son père ne tarde pas à l’emmener dans un hôpital régional et, après les premiers examens, Erin est envoyée au Campus Civic de L’Hôpital d’Ottawa. Le Dr Safraz Mohammed, neurochirurgien spécialisé dans le cerveau et la colonne vertébrale, est de garde lorsqu’Erin arrive à l’Urgence.

Erin et Dr Mohammed

« Après avoir pris connaissance des résultats de sa tomodensitométrie, nous demandons immédiatement une IRM, qui révèle malheureusement une tumeur cérébrale dans le lobe frontal droit », explique le Dr Mohammed.

Il se souvient très bien de ces premières interactions avec Erin. « Elle est très optimiste, même au moment du diagnostic. Je comprends qu’elle est une personne extraordinaire et qu’elle va être une patiente formidable ».

Pour Erin, le sentiment est tout à fait réciproque. Ce jeune médecin, qui n’a que deux ans d’ancienneté, lui apporte beaucoup de réconfort. Elle est admise à l’unité F7 (l’étage des patients hospitalisés en neurosciences) et passe une autre IRM le lendemain matin. Lorsque le Dr Mohammed vient voir Erin et sa famille, il s’assoit.

« Lorsque je rencontre des patients, je m’assois à leur hauteur. Je m’assois parfois sur le lit ou sur une chaise près d’eux parce que je pense qu’il est important d’être à la hauteur des yeux pour avoir une bonne interaction avec le patient plutôt que de le regarder de haut ».

Il plaisante également en disant que c’est une bonne occasion de s’asseoir après avoir opéré toute la journée ou fait des tournées.

Un type de tumeur jamais vu auparavant

La tumeur d’Erin est assez grosse – de la taille d’une petite pomme – et tout semble indiquer qu’il s’agit d’un méningiome, un type de tumeur qui se développe dans la membrane recouvrant le cerveau et la moelle épinière. Dans le cas d’Erin, le méningiome envahit la veine centrale du cerveau, appelée sinus sagittal supérieur, qui est une veine importante qui, si endommagée, peut avoir des conséquences dévastatrices, selon le Dr Mohammed.

« Ces conséquences dévastatrices comprennent un accident vasculaire cérébral massif, une hémorragie massive dans le cerveau et peuvent même malheureusement entraîner la mort. C’est un gros vaisseau, mais sa paroi est mince. L’intervention chirurgicale doit être très bien préparée ».

Après une planification minutieuse, Erin est préparée à l’intervention chirurgicale par le Dr Mohammed et son équipe. Au cours de l’intervention qui dure six heures, la tumeur est entièrement retirée et envoyée pour analyse.

Pendant l’intervention, un échocardiogramme transœsophagien continu est utilisé pour s’assurer qu’aucun air n’est aspiré par la veine principale, ce qui pourrait être fatal. Le Dr Mohammed veut retirer la totalité de la tumeur en raison du jeune âge d’Erin. Cela signifie qu’il faut enlever la tumeur qui a envahi ce vaisseau sanguin majeur.
« C'est là que nous comprenons que cette tumeur comporte des éléments jamais vus ou découverts auparavant »
— Dr Safraz Mohammed

Les tests donnent des résultats très inhabituels. Le Dr Mohammed conclut qu’il s’agit d’une tumeur de grade 3, ce qui signifie qu’elle est cancéreuse. « Elle n’est pas bénigne comme nous le pensions. Elle ne correspond pas non plus aux critères du méningiome. Nous l’envoyons donc à Toronto pour des examens complémentaires, et c’est là que nous comprenons que cette tumeur comporte des éléments jamais vus ou découverts auparavant », précise le Dr Mohammed.

Ce nouveau type de tumeur est appelé néoplasme à cellules fusiformes à base durale, caractérisé par un nouveau gène de fusion MN1-KMT2A, d’après le type de cellules et la génétique découverts à l’intérieur de la tumeur. Avec l’aide du neuropathologiste, l’équipe fait publier un article sur cette nouvelle tumeur dans les revues médicales.

Pour Erin, cette nouvelle est difficile à accepter. « Je me revois être tellement submergée par les émotions que je me mets à pleurer. C’est beaucoup plus grave que je ne le pensais, mais le Dr Mohammed me tranquillise. L’infirmière présente dans la chambre, Nancy Mongeon, est très gentille et douce », explique Erin.

« Mes parents se ressaisissent aussi, puis nous discutons des prochaines étapes. Je sais que je suis entre de bonnes mains et que je dois simplement faire confiance à mon équipe », ajoute Erin.

Prête à être traitée

Étant donné que l’équipe travaille sur un nouveau type de tumeur, il n’y a pas de précédent en matière de traitement. Mais comme cette équipe sait qu’elle est confrontée à une tumeur de grade 3, elle admet que des séances de radiothérapie s’imposent.

C’est à ce moment-là qu’intervient le Dr Vimoj Nair, radio-oncologue spécialisé dans le traitement des enfants et des jeunes adultes. Il apporte des compétences et des connaissances particulières dans le domaine de la radiothérapie de haute précision, notamment son travail avec le CyberKnife, un système de radiochirurgie robotique pouvant détruire des tumeurs cérébrales inopérables ainsi que des tumeurs dans d’autres parties du corps. L’Hôpital d’Ottawa a pu acquérir cet important instrument grâce à la générosité de ses donateurs.

« Nous sommes fiers d’avoir accès à des technologies de pointe à L’Hôpital d’Ottawa et à des décennies d’expérience en matière de radiothérapie »
— Dr Vimoj Nair

Ce sont le Dr Nair et ses collaborateurs de recherche qui ont d’abord publié au sujet des grains de platine conçus à Ottawa qui permettent d’améliorer un système de traitement radiochirurgical déjà extrêmement puissant et précis pour des tumeurs du foie, du pancréas et des reins. « Nous sommes fiers d’avoir accès à des technologies de pointe à L’Hôpital d’Ottawa et à des décennies d’expérience en matière de radiothérapie », ajoute le Dr Nair.

En raison du jeune âge d’Erin, le Dr Nair souhaite mettre toutes les chances de son côté d’avoir une vie bien remplie, sans récidive de son cancer. « Il ne s’agit pas simplement de traitements de radiothérapie, mais de s’assurer que la patiente a de bonnes chances de survivre et de conserver toutes ses capacités. Erin est jeune, et nous voulons avoir un plan pour épargner son centre de la mémoire, pour qu’elle puisse utiliser toutes ses fonctions cérébrales ».

Cela signifie qu’il faut cibler la tumeur, mais aussi couvrir la zone autour de la tumeur pour traiter toute maladie microscopique potentielle que les yeux humains ou les scanners ne peuvent pas détecter. « C’est comme un arbre sur la pelouse. Vous pouvez le couper, mais vous devez toujours vous attaquer à ses racines », explique-t-il. Cela veut dire qu’il faut utiliser l’accélérateur linéaire qui peut administrer une dose quotidienne plus faible à une zone plus large et permettre au tissu cérébral normal irradié de se rétablir, au lieu d’utiliser le CyberKnife, où un traitement par rayonnement intense est administré uniquement aux tumeurs visibles.

Fin 2018, au terme de 30 cycles de radiothérapie, l’équipe a bon espoir.

Erin récupère

Faire partie de la grande famille de L’Hôpital d’Ottawa

C’est au cours de ces semaines de radiothérapie qu’un déclic se produit chez Erin. Cela n’a rien à voir avec sa santé, mais plutôt avec ses aspirations professionnelles. Le DMohammed se souvient du moment où Erin raconte cette partie de son parcours :
« Elle me parle du fait qu’elle est tellement plus jeune que les autres patients autour d’elle et de la compassion qu’elle a pour les personnes plus âgées qui reçoivent également des traitements de radiothérapie. Elle commence à les aider à se lever, à se déplacer dans la pièce, à obtenir des documents ou toute autre chose dont ils ont besoin ».

C’est une expérience déterminante dans sa vie, une étincelle dans son parcours thérapeutique.

Le DMohammed constate qu’elle ferait une infirmière exceptionnelle, et il est là pour la soutenir. « Je lui écris une lettre de recommandation pour l’école d’infirmières; elle fait ensuite sa formation à l’hôpital Sunnybrook de Toronto – c’est là que j’ai fait ma résidence. À la fin de son programme, je l’encourage à venir travailler au Civic, car c’est tout simplement le meilleur endroit où travailler ».

En 2021, Erin devient infirmière en neurologie à l’unité F7, le même étage où elle a été admise pour la première fois au début de son parcours de soins trois ans plus tôt. La patiente en neurochirurgie devient infirmière en neurochirurgie.

Erin Brown est infirmière à l’unité F7 du Campus Civic

Une nouvelle lésion apparaît à un endroit différent

Au fur et à mesure que la carrière d’Erin s’épanouit, elle continue à faire régulièrement des IRM tous les six mois. Puis, en mai 2022, un petit point sur le lobe temporal droit apparaît sur des clichés d’imagerie.

« J’en parle au comité des thérapies du cancer. Il s’agit d’un groupe composé de neurochirurgiens, de radio-oncologues et de neuropathologistes de notre hôpital qui discutent des cas complexes. Comme je ne suis pas encore prêt à lui faire subir une nouvelle intervention, nous surveillons donc cette nouvelle lésion de près », dit le DMohammed.

Deux mois plus tard, la lésion a pas mal grossi, de la taille d’un grain de raisin. En octobre 2022, le DMohammed et son équipe retournent au bloc opératoire avec Erin pour procéder à une craniotomie droite dans la région temporale. « Il s’agit d’une nouvelle petite tumeur à un autre endroit. La tumeur initiale a disparu et toutes les images que nous avons jusqu’à présent montrent que rien n’a repoussé à cet endroit. Nous enlevons donc la lésion et le plus possible de dure-mère, c’est-à-dire la couche qui recouvre le cerveau ».

Erin en compagnie du Dr Mohammed et de l’équipe chirurgicale avant sa première intervention

Erin apprend que cette nouvelle lésion est le résultat d’une métastase intramédullaire, c’est-à-dire qu’une petite cellule de la tumeur initiale s’est développée en une nouvelle tumeur.

Malheureusement, à peine un an plus tard, la lésion réapparaît et, en janvier 2024, Erin subit une troisième intervention chirurgicale pour une ablation complète, suivie d’autres séances de radiothérapie. Les membres du comité des thérapies du cancer s’entendent pour dire que la radiothérapie ayant aidé à long terme à traiter la première tumeur, ils devraient en faire de même avec la seconde intervention.

Cette fois-ci, le défi consiste à traiter le cerveau à un autre endroit tout en minimisant le chevauchement avec le plan d’irradiation précédent, en assurant un bon équilibre entre le contrôle de la tumeur et les risques de toxicité à court et à long terme chez une jeune patiente.

« À L’Hôpital d’Ottawa, nous sommes fiers d’avoir accès à une technologie de pointe et à une équipe thérapeutique expérimentée en planification des traitements de radiothérapie. Nous sommes en mesure d’épargner le cerveau et cela démontre notre expertise dans le traitement des jeunes cerveaux », d’expliquer le Dr Nair.

Une carrière axée sur la compassion

Aujourd’hui, Erin continue d’être suivie de près et d’autres traitements l’attendent, mais elle met à profit ce qu’elle a appris en tant que patiente pour s’occuper de ses patients, sachant très bien ce qu’ils éprouvent.

« C'est un tel privilège de s'occuper des patients lorsqu'ils sont dans leur état le plus vulnérable, en comprenant ce qu'ils traversent, même si chaque expérience est différente ».

— Erin Brown

Erin a un lien particulier avec les jeunes patients en neurologie avec lesquels elle peut s’identifier. « J’ai eu quelques jeunes patients qui avaient entre 30 et 40 ans. Ils ont l’air si effrayés. Ils rentrent chez eux, dans leur famille. Ils ont des enfants en bas âge. Ils ne savent pas comment s’y prendre, et je les plains parce que j’ai été un peu dans leur situation. Peut-être pas à 100 %, mais je sais dans une certaine mesure ce qu’ils vivent, et je peux donc leur apporter mon soutien ».

Quant à la tumeur sans précédent qui restera dans les annales, elle aurait souhaité, en plaisantant, qu’on l’appelle « Erinoma ». Peu importe ce que l’avenir lui réserve, Erin est reconnaissante à l’équipe très qualifiée de lui avoir non seulement fait profiter de son expertise, mais aussi d’un sentiment de sérénité pendant la période la plus difficile de sa vie – une équipe dont elle est fière de faire partie aujourd’hui.

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