Encyclopédies, éducation éclectique et beaucoup de soins
Entrevue avec le Dr Paul MacPherson, premier titulaire de la Chaire de recherche en santé des hommes gais à L’Hôpital d’Ottawa et à l’Université d’Ottawa
Le Dr Paul MacPherson recentre les soins de santé offerts aux hommes gais à Ottawa chaque jour par son travail axé sur l’innovation pratique. Scientifique clinicien à L’Hôpital d’Ottawa, le Dr MacPherson allie la recherche et le travail clinique pour veiller à ce que les hommes gais reçoivent les meilleurs soins possibles. Après deux décennies de spécialisation en maladies infectieuses – surtout celles causées par le VIH et d’autres virus transmissibles sexuellement – le Dr MacPherson mène les soins de santé dans de nouvelles directions en tant que premier titulaire de la Chaire de recherche en santé des hommes gais à L’Hôpital d’Ottawa et à l’Université d’Ottawa.
Découvrez le passe-temps préféré du Dr MacPherson lorsqu’il était jeune et ce qui l’a motivé à étudier en médecine dans les années 1990.
Q : Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de votre enfance?
R : J’ai grandi au Nouveau Brunswick et, même si j’ai vécu plus de la moitié de ma vie à l’extérieur des Maritimes, cette région est toujours au cœur de mon identité.
J’étais assurément un jeune féru des sciences. Le samedi matin, mon passe-temps préféré était de lire l’encyclopédie. Je sais que ça semble pathétique, mais j’aimais vraiment lire toutes les choses sur la biologie. J’étais excellent à l’école. La seule matière que je n’aimais pas, c’étaient les mathématiques.
Q : Qu’est-ce qui vous a incité à opter pour les sciences et la médecine?
R : Pour l’entrée à l’université, j’ai opté pour un baccalauréat ès arts. J’ai étudié la psychologie, la biologie, la civilisation grecque, la littérature anglaise et le français. Je pouvais passer une heure dans le laboratoire de biologie, puis la suivante, parcourir un livre sur la civilisation grecque ancienne. J’adorais.
En deuxième année, des gens m’ont fait prendre conscience que je devais me concentrer. Ils m’ont dit qu’il n’y a pas de travail pour les gens qui ont étudié le grec classique et la biologie! J’ai alors opté pour un baccalauréat en sciences biologiques. On m’a proposé des postes pour étudiants diplômés en physique, en chimie, en mathématiques, en français et en biologie. Il était hors de question de choisir les mathématiques ou la physique, alors je suis allé faire un doctorat en biologie moléculaire à l’Université de Californie à Berkeley. J’y ai étudié le virus du papillome et les protéines impliquées dans sa réplication.
Après une surspécialisation en neurosciences, j’ai entamé une deuxième surspécialisation sur le VIH à Ottawa. C’était au début des années 1990. Nous étions en plein cœur de la crise du sida. Deux choses se sont enchaînées pour moi : j’ai dévoilé et accepté mon homosexualité et j’ai pris conscience que j’étais en fait un virologiste. J’ai vu des hommes gais souffrir autour de moi. Ils n’étaient pas traités d’une manière qui peut les faire se sentir bien. Il y avait beaucoup de stigmatisation. Disons que ce n’était pas une période très joyeuse.
« Je voulais retrousser mes manches et plonger tête baissée dans la mêlée pour aider. »
Je suis entré à la faculté de médecine précisément pour contribuer du côté des médicaments et des soins contre le VIH – je voulais retrousser mes manches et plonger tête baissée dans la mêlée pour aider. Je voulais m’assurer que les hommes gais reçoivent les traitements appropriés d’une façon respectueuse et qu’ils ne sont pas jugés parce qu’ils ont contracté une infection virale.
Q : Qu’est-ce qui a changé depuis que vous avez commencé à vous consacrer au VIH et à la santé des hommes gais au début des années 1990?
R : Les choses ont énormément changé du côté médical. À mon entrée à la faculté de médecine, des gens mourraient à cause du VIH. Nous essayions vraiment d’atténuer les infections opportunistes et de rendre le moins pénible possible le passage de la santé à la maladie et à la mort parce que les gens finissaient par avoir le sida.
De nos jours, le traitement contre le VIH est généralement la prise d’une pilule une fois par jour. Nous avons même des médicaments injectables. Les horribles effets secondaires appartiennent à l’histoire. D’un point de vue médical, c’est réellement facile et efficace. Les personnes atteintes du VIH peuvent vraiment mener une vie normale. Aujourd’hui, dans la plupart des cliniques spécialisées dans le VIH, les professionnels sont très sociables et s’intéressent à l’ordinaire de la vie des patients. Si vous m’aviez dit au milieu des années 1990 que ce serait ainsi un jour, j’aurais été ravi, mais j’aurais eu du mal à y croire.
Donc, oui, les choses se passent bien du côté médical, mais il existe toujours beaucoup de stigmatisation et de discrimination. Les personnes atteintes du VIH portent toujours un lourd fardeau. Nous avons encore beaucoup de travail à faire et un long chemin à parcourir. J’aurais aimé que nous ayons autant progressé à ce chapitre que dans le domaine des traitements.
Q : Pourquoi avez-vous choisi de travailler à L’Hôpital d’Ottawa?
R : La possibilité de faire de la recherche scientifique fondamentale, ce que j’ai fait pendant 15 ans, m’a amené à Ottawa. À mesure que j’ai évolué personnellement et que j’ai offert des soins à des personnes séropositives, je me suis concentré sur la prestation de ces soins. J’ai constaté l’absence d’une vision holistique. Être gai était synonyme de VIH – un cas confirmé ou un cas à prévenir. Pourtant, les gais sont des personnes comme les autres. Ils ont besoin que les médecins les considèrent dans leur intégralité – en tant qu’êtres physiques, mentaux, sexuels et sociaux. J’ai donc progressivement délaissé la science fondamentale pour me consacrer à ce que je fais maintenant : la prestation de soins cliniques. Ce qui est génial à L’Hôpital d’Ottawa, c’est qu’on me laisse le faire. Lorsque j’ai dit que je voulais consacrer plus de temps aux soins, on m’a répondu « parfait, c’est tout à ton honneur ». Personne ne m’a dit que je ne pouvais pas le faire, ce qui est unique en matière d’emploi. On m’a laissé m’épanouir personnellement et professionnellement, ce qui m’a motivé et a permis l’émergence de nouvelles idées.
Q : Que fait L’Hôpital d’Ottawa à l’heure actuelle pour favoriser la santé des hommes gais?
R : Nous essayons d’améliorer les soins de santé offerts aux hommes gais pour qu’ils leur correspondent davantage. Nous avons encore du pain sur la planche, mais nous sommes déterminés à continuer d’y travailler.
En ce moment, nous élaborons un guide sur les soins primaires aux hommes gais à l’intention des professionnels de la santé. Si nous voulons des changements, il faut les stimuler et les soutenir. L’autre projet important est notre site Web : HUGO ou Health Unlimited for Guys in Ontario. Nous y affichons de l’information sur la santé pour les hommes gais et y avons versé quatre modules d’apprentissage pour les professionnels de la santé.
Lorsque nous avons créé HUGO, je n’ai pas pensé que l’Hôpital aurait souhaité participer au projet. Il contient beaucoup de renseignements sur le sexe et la santé sexuelle. J’ai pensé qu’ils allaient m’opposer un refus catégorique, mais ce ne fut pas le cas. J’ai alors posé des questions. Qui a vraiment examiné le site Web? Avez-vous vu certains des mots qui y figurent? Nous y parlons de sexe dans un langage familier et pas en des termes médicaux. Ils m’ont répondu qu’ils l’ont bel et bien vu. Ça m’a impressionné.
Je félicite L’Hôpital d’Ottawa pour ce soutien. Ce n’est pas évident à assumer, mais ils l’ont fait.
Q : Comment le rôle de titulaire s’est-il imposé?
R : Il est ressorti d’un groupe de discussion. Nous parlions des obstacles auxquels se butent les hommes gais dans le secteur des soins de santé. Un des hommes a demandé pourquoi il n’y avait pas de chaire de recherche dans ce domaine vu qu’il y a tant de travail à accomplir. Au départ, je ne croyais pas que l’Hôpital ou l’Université appuierait cette chaire. Cet homme a toutefois présenté son idée à la Fondation et à l’Institut de recherche de L’Hôpital d’Ottawa, qui ont manifesté un intérêt immédiat.
L’objectif de la chaire est d’adopter une vision vraiment large et inclusive de la santé des hommes gais par le truchement de l’éducation, de programmes cliniques et de la recherche afin de pouvoir aborder leur bien-être physique, mental, social et, bien sûr, sexuel.
Il est important de souligner que la santé des hommes gais ne se limite pas au VIH ou à la santé sexuelle. Nous devons être considérés comme des personnes à part entière.
Q : Qu’espérez-vous accomplir en tant que titulaire de cette chaire?
R : J’espère vraiment que ce n’est que le début – le travail de base – pour rendre les soins de santé plus pertinents pour les hommes gais.
La santé mentale est une problématique de taille. La dépression et l’anxiété prévalent le plus chez les hommes gais de la mi-vingtaine à la fin vingtaine et l’anxiété est plus élevée chez les jeunes hommes. Nos données montrent que 25 % des hommes trouvent le sexe stressant.
Nous nous intéressons aussi aux aînés de la communauté. La consommation d’alcool est beaucoup plus élevée chez les hommes gais âgés que chez les jeunes. Nous avons constaté qu’environ 40 % des hommes gais âgés vivent seuls et qu’environ 45 % ne vivent pas dans le centre-ville. Il existe donc une population d’hommes gais qui vivent seuls en dehors du centre-ville, qui consomment beaucoup d’alcool et qui n’ont pas accès aux services de santé sexuelle. Nous craignons qu’ils ne se sentent pas les bienvenus dans les organismes de santé compte tenu de leur expérience de vie il y a plusieurs décennies. Nous devons repérer ces hommes et nous assurer qu’ils savent qu’ils sont les bienvenus, et les orienter vers des organismes de santé informés sur l’homosexualité.
« J’espère aussi que ce travail servira de modèle pour d’autres groupes minoritaires qui sont aussi confrontés à des obstacles dans le secteur de la santé : lesbiennes, transgenres, réfugiés, itinérants, etc. »
C’est une approche en deux volets : l’éducation et les programmes, ainsi que la sensibilisation des hommes gais à notre travail.
J’espère aussi que ce travail servira de modèle pour d’autres groupes minoritaires qui sont aussi confrontés à des obstacles dans le secteur de la santé : lesbiennes, transgenres, réfugiés, itinérants, etc.
Q : Que faites-vous en dehors du travail?
R : Comme tout le monde, quand je ne suis pas au travail, je suis à la maison et je fais du ménage! Deux choses que j’aime beaucoup sont les langues et les voyages. Plus jeune, je voulais parler sept langues. Je suis loin d’avoir atteint cet objectif et je ne maîtrise même pas encore l’anglais, mais j’aime toujours les langues. J’ai eu la chance de voyager beaucoup, notamment au Bhoutan et en Russie. Je m’estime chanceux d’avoir côtoyé différentes cultures et personnes.
La Chaire de recherche en santé des hommes gais bénéficie du généreux soutien du Département de médecine et du soutien de la communauté par l’intermédiaire de la Fondation de l’Hôpital d’Ottawa. L’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa et l’Université d’Ottawa ont contribué à la création de la chaire dans le cadre du programme de chaires de recherche clinique de la Faculté de médecine. Cliquez ici pour en savoir plus sur le Dr MacPherson et ce que son nouveau rôle important apportera aux patients.