La Dre Barbara Vanderhyden a consacré sa carrière à chercher les morceaux métaphoriques manquants de certains des casse-têtes les plus complexes du cancer de l’ovaire. Un casse-tête de 3 000 morceaux semble un jeu d’enfant à côté du travail que fait la Dre Vanderhyden, scientifique principale à L’Hôpital d’Ottawa, professeure à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche Corinne Boyer sur le cancer de l’ovaire.
Qu’il s’agisse de son tout premier prix – le prix Soroptimist pour son bénévolat en tant qu’étudiante du secondaire en 1978 – ou encore des accolades qu’elle a depuis reçues – notamment le Prix du mérite scientifique Dr David J. Grimes, le Prix d’excellence en enseignement de la capitale, et le Prix du Gouverneur général pour l’entraide – la carrière primée de la Dre Vanderhyden a changé la manière dont le cancer de l’ovaire est aujourd’hui compris et traité.
Lisez la suite pour savoir pourquoi la physiologie s’apparente à un casse-tête et pourquoi aspirer des œufs est une bonne chose dans le laboratoire de la Dre Vanderhyden.
Q : Pouvez-vous nous parler un peu de votre enfance et de vos centres d’intérêt à l’époque?
R : J’ai grandi dans le Sud-Ouest de l’Ontario, d’abord à Stratford, puis dans une petite ville nommée
St. Thomas. Je me trouve très bien dans des petites villes; ce sont de bons endroits où grandir.
Pour ce qui est de mes passe-temps, j’ai joué du piano et fait beaucoup de service communautaire. Un des enseignants de mon école a essayé de nous convaincre de faire le plus possible de travail de terrain.
En dehors de cela, mon adolescence a tourné autour de mes études. J’étais une très bonne élève en sciences et en mathématiques, deux matières qui m’attiraient en raison de mon caractère curieux. J’aime l’idée d’essayer de solutionner des choses. Donnez-moi un casse-tête ou une énigme et je suis aux anges.
Q : Pourquoi avez-vous choisi la recherche médicale et, plus particulièrement, la recherche sur le cancer de l’ovaire?
R : J’ai d’abord suivi des études de premier cycle en physiologie à l’Université Western, et les deux premières années ont principalement porté sur les mathématiques et les sciences fondamentales. En troisième année, j’ai eu un manuel de physiologie médicale, et c’est là que j’ai pris conscience pour la première fois de l’incroyable interconnexion de tous les morceaux. C’est comme un gros casse-tête, où vous pouvez regrouper tous les morceaux dans un corps. Je me suis dit, époustouflée, « Qui a inventé cela? Qui pourrait rendre cela si compliqué? ». À présent, 40 ans plus tard, nous ne cessons d’apprendre sur le fonctionnement de tous ces morceaux ensemble et sur ce qui se passe en cas de dysfonctionnement.
Comme il n’y avait rien d’autre que je souhaitais de plus que de continuer à étudier les profondeurs de la physiologie, j’ai ensuite suivi des études postdoctorales sur la physiologie de la reproduction, puis on m’a proposé un poste à L’Hôpital d’Ottawa.
J’ai commencé à m’intéresser à la recherche sur le cancer précisément après que mon équipe, dans le cadre du groupe de recherche sur le cancer, se soit installée dans le Centre de cancérologie flambant neuf en 1995. Je me consacrais à la physiologie de reproduction en tant que scientifique et, soudainement, j’ai croisé des patients cancéreux dans les salles d’attente alors que je me rendais au troisième étage pour faire de la recherche. Cela m’a rappelé qu’il y avait des problèmes encore plus importants et je me suis sentie responsable d’essayer de résoudre certains de ces casse-tête.
Je connaissais très bien les ovaires et très peu de recherche se faisait à l’époque au Canada sur le cancer de l’ovaire; je me suis donc dit qu’il fallait en faire davantage. Tenter de comprendre ce qui se passe lorsqu’une tumeur se développe dans l’ovaire ».
Q : Quel est l’élément le plus intéressant que vous avez découvert en faisant de la recherche sur le cancer de l’ovaire?
R : Ce qui m’a le plus intéressée à tout moment, c’est ce sur quoi je travaillais. Les années 1990 ont été une période très enthousiasmante lorsque nous avons découvert que les cellules dans les ovaires avaient une façon unique de communiquer entre elles.
L’ovocyte, la cellule qui devient un œuf pouvant être fécondé, grossit dans une structure appelée un follicule. Les seules autres cellules présentes dans la structure sont les cellules de la granulosa. À l’époque, nous pensions que l’ovocyte était un récepteur passif des messages que lui envoyaient les cellules de la granulosa : quand grossir, s’arrêter de le faire, arriver à maturité ou ovuler. Nous pensions que tout était contrôlé par les cellules de la granulosa. Mais pour moi, cela était illogique, parce que nous savons que les cellules communiquent entre elles, et je me suis dit qu’il devait y avoir une manière de prouver que les ovocytes renvoient des signaux aux cellules de la granulosa.
Le problème, c’était que la structure folliculaire est en forme de boule, avec l’ovocyte au milieu, et nous ne pouvions pas facilement étudier l’ovocyte sans perturber les cellules de la granulosa. Nous avons certes trouvé un moyen d’aller aspirer l’ovocyte hors de la boule de cellules. On parle officieusement d’aspirer des œufs, mais au moment de publier nos résultats, nous parlons d’ovocytectomie. Cela nous a permis d’étudier ce que les cellules de la granulosa faisaient en tant que structure tridimensionnelle lorsque l’ovocyte se trouvait à l’intérieur et lorsqu’il était retiré. Il s’avère que les cellules de la granulosa ne savent même pas quoi faire sans que l’ovocyte ne leur dise!
Nous avons plus récemment découvert que les ovaires humains se fibrosent avec l’âge. Une fibrose se produit lorsqu’il y a plus de collagène, qui soude nos cellules ensemble, que nécessaire, et qui forme des couches de tissus plus rigides. Les tissus fibreux favorisent la croissance d’un cancer, mais nous ignorons exactement pourquoi c’est le cas.
Le fait que les ovaires se fibrosent n’était pas inattendu; les tissus ont tendance à devenir fibreux avec l’âge. Mais nous avions aussi un cas particulier dans notre collecte de données, une femme postménopausée qui aurait dû avoir un ovaire fibreux, mais pour qui ce n’était pas le cas. Nous avons appris qu’elle prenait de la metformine pour traiter son diabète, et nous avons depuis vu un certain nombre d’études montrant que la metformine prévient en fait le processus de vieillissement des ovaires. En ce moment même, nous tentons de comprendre comment les tissus fibreux créent un environnement propice à la croissance du cancer et aussi comment utiliser la metformine pour éviter la fibrose des ovaires.
Q : Que fait L’Hôpital d’Ottawa concernant la recherche sur le cancer qui est palpitant?
R : Ottawa a fait figure de précurseur dans la recherche en immunothérapie. Nous savons bien que la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie sont des incontournables, mais ce ne sont pas des stratégies attrayantes pour traiter un cancer chez la plupart des patients. Bien que je ne sois pas immunologue, je suis entourée de personnes qui étudient les immunothérapies et font partie des premières à le faire. Ce sentiment national d’efficacité de la biothérapie et de l’immunothérapie a vraiment pris naissance à Ottawa.
C’est très enthousiasmant pour moi, parce que les cancers de l’ovaire ne répondent pas en fait aux immunothérapies. Je puise dans toutes ces précieuses connaissances et expertise pour dire, « OK, pourquoi pas? Qu’est-ce qui les rend résistants? »
Q : Que représente le soutien communautaire pour votre travail?
R : J’ai beaucoup de chance de bénéficier d’un extraordinaire soutien de la collectivité, et surtout de personnes atteintes d’un cancer de l’ovaire, de leurs amis et de leur famille, pour trois raisons. Premièrement, les patientes font preuve d’une immense générosité en nous permettant d’avoir accès à leurs tissus tumoraux pour notre recherche. Deuxièmement, quand nous leur parlons, ces personnes nous disent sans la moindre hésitation ce qui marche et ne marche pas pour elles, afin que nous puissions nous assurer que les travaux de recherche que nous menons sont pertinents et importants pour les personnes touchées par cette maladie. Troisièmement, leurs dons en argent faits à la recherche peuvent souvent faire la différence pour pouvoir sortir des sentiers battus concernant un projet.
Q : Vous avez joué un rôle prépondérant dans le lancement de la section d’Ottawa du programme de sensibilisation aux sciences, Parlons sciences; pouvez-vous nous en parler un peu?
R : Quand j’étais étudiante de premier cycle à l’Université Western, mon département offrait un programme de sensibilisation aux sciences très novice, dirigé par un autre étudiant de premier cycle. Quand je me suis installée à Ottawa, j’ai tout de suite pris conscience des possibilités offertes aux étudiants d’apprendre à enseigner. J’ai donc mis sur pied un programme de sensibilisation aux sciences qui a été la première section de Parlons sciences à l’extérieur de London en 1993. Le but est de mettre des élèves de l’élémentaire et du secondaire en contact avec les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques, de les aider à acquérir des connaissances dans le domaine, et de les encourager à poursuivre une carrière dans l’une de ces disciplines.
En avançant dans le temps, nous avons constaté de plus en plus d’écarts dans les opportunités scientifiques, ce qui fait qu’entre 2007 et 2019, j’ai aussi mis en place un programme intitulé La science voyage, dont l’objectif était essentiellement de sensibiliser les jeunes autochtones des communautés éloignées du Nord aux sciences, aux technologies, à l’ingénierie et aux mathématiques.
J’ai dirigé Parlons sciences Ottawa pendant 25 ans, et je m’y implique encore, mais il y a environ 5 ans, nous sommes devenus beaucoup trop suffisants, et je ne pouvais plus en assurer la direction et m’occuper de tout le reste. C’est maintenant un ancien bénévole qui s’en occupe à plein temps.
Q : Où peut-on vous trouver quand vous ne travaillez pas?
R : Cela dépend de la météo et du jour de la semaine. S’il pleut et fait froid, je suis emmitouflée dans mon fauteuil préféré et je lis un roman à énigme ou policier, ou fais un casse-tête. Sur la table de notre salle à manger, cela fait une décennie qu’il y a toujours posé un casse-tête de 2 000 ou 3 000 morceaux; je tire une grande satisfaction à voir le tout terminé.
S’il fait beau, je vais souvent me promener avec d’autres femmes de mon quartier. Les jeudis, c’est soirée-cinéma avec des gens de mon voisinage.
J’aime aussi manger ce que mon mari nous concocte, parce qu’il est un excellent cuisinier. Il a autrefois fait de la recherche sur les AVC et l’ostéoporose, et depuis qu’il est à la retraite, il aime se lancer dans des expériences culinaires, et j’aime être celle qui goûte. C’est magnifique.