La carrière du Dr Jay Baltz et le premier bébé-éprouvette ont à peu près le même âge. Lorsque ce scientifique principal à L’Hôpital d’Ottawa faisait ses premiers pas dans le domaine de la fécondation in vitro, les chercheurs se heurtaient à un obstacle qui entravait leur progrès. Grâce à sa recherche pionnière et à sa collaboration avec l’un des créateurs de la fécondation in vitro, le Dr Baltz réussira à pousser la science de la fertilité vers de nouveaux sommets et à faire du domaine un terrain fertile pour l’innovation. 

Découvrez quand le premier bébé-éprouvette est né, comment la science de la fertilité a évolué depuis et quels ouvrages du XVIIe siècle sont encore consultés par le Dr Baltz. 

Q: Pouvez-vous nous en dire un peu sur votre jeunesse?

R : Je suis originaire de la Philadelphie. C’est là où je suis né et où j’ai fait mes études universitaires. J’ai toujours eu un intérêt pour la science. J’avais un ensemble de chimie, et c’était aussi l’époque du programme spatial des États-Unis et de l’alunissage. J’étais collé à la télé chaque fois que la NASA lançait une fusée. 

Q: Comment avez-vous choisi de poursuivre des études en biophysique? 

R : Je me suis intéressé très tôt à la physique et aux sciences pures, mais ce n’est que lorsque je terminais mes études de premier cycle à l’université de Pennsylvanie que je me suis intéressé à appliquer ce que j’avais appris à la biologie. À l’époque, la biophysique existait déjà depuis un certain temps, mais on pourrait dire que le domaine n’avait pas tout à fait atteint un stade de maturité. C’est un domaine interdisciplinaire qui applique les théories de la physique pour comprendre le fonctionnement des systèmes biologiques. 

J’ai décidé de poursuivre des études de doctorat au département de biophysique de l’université Johns Hopkins et j’ai ensuite fait une formation postdoctorale à la Harvard Medical School.  

Q: Comment êtes-vous devenu chercheur dans le domaine de la fertilité? 

R : Pendant ma première année d’études supérieures à l’université Johns Hopkins, nous avons fait des stages dans plusieurs laboratoires avant de choisir celui où nous effectuerions le travail qui ferait l’objet de notre thèse. L’un des professeurs, le Dr Richard Cone, avait travaillé pour mieux comprendre le fonctionnement des photorécepteurs de l’œil, mais faisait alors une transition vers la biologie reproductive. Cela me semblait très intéressant. Je me suis donc rendu à son labo vers 1980, et ma thèse a porté sur l’interaction entre le sperme et l’ovule.

Q: Pourquoi avez-vous choisi le Canada et L’Hôpital d’Ottawa?

R : J’ai passé des entretiens et j’ai été considéré pour des postes à plusieurs endroits. J’avais été au labo du Dr John D. Biggers à Harvard, qui était l’un des créateurs de la fécondation in vitro et de la culture d’embryons précoces. Je voulais poursuivre de la recherche dans ce domaine. Au nouvel (à l’époque) Institut Loeb de recherche en santé, qui est maintenant l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa, il y avait une unité de biologie reproductive. Le Dr Benjamin Tsang en était le chef et il m’a recruté. J’avais songé à être directeur de laboratoire dans le domaine de la fécondation in vitro clinique, mais, ultimement, j’ai cru que ce serait plus intéressant, et probablement plus utile sur le long terme, de faire de la recherche visant à améliorer les conditions pour le développement d’embryons précoces. 

Le laboratoire Baltz lors d’un déjeuner à Dow’s Lake vers 2004

Q: Comment décririez-vous la recherche qui vous a valu le prix Grimes du mérite scientifique?

R : Mon travail s’est concentré sur la manière de faire croître les embryons très précoces de sorte qu’ils restent en santé. Nous essayions de déterminer les facteurs qui permettaient d’optimiser leur santé pendant qu’ils se développent dans des boîtes après la fécondation in vitro. Comme ça, lorsque nous les remettons dans l’utérus, nous pouvons, nous espérons, réussir à avoir un bébé en santé. 

En 1978 naissait le premier bébé-éprouvette, Louise Brown. Dans les premiers cas de fécondation in vitro, les embryons ont été transférés dans l’utérus lorsqu’ils ne comptaient que quatre ou huit cellules, car nous pouvions féconder les ovules in vitro, mais nous ne réussissions pas ensuite à les faire développer en blastocystes (une balle creuse composée d’environ 32 cellules). Nous voulions être capables de leur permettre d’atteindre cette étape pour que nous puissions sélectionner les embryons les plus en santé et donc augmenter les chances d’une grossesse réussie. 

À l’époque, nous étudiions les souris. Dans leur cas, nous arrivions à féconder un ovule dans une boîte et à le faire croître jusqu’au stade où il était un embryon à deux cellules, mais nous n’arrivions pas à aller plus loin. Cependant, si nous retirions un embryon à deux cellules d’une souris pour ensuite le mettre dans une boîte, là, nous arrivions sans problème à atteindre le stade du blastocyste. L’obstacle au développement de l’embryon avait donc quelque chose à voir avec le fait d’être à l’extérieur de l’appareil reproducteur féminin pendant la courte période où l’ovule fécondé se divisait en deux cellules. Le laboratoire du Dr Biggers a été parmi les premiers à découvrir ce qu’était l’obstacle et au moins une manière de le surmonter. 

J’ai commencé à étudier les différences entre les milieux de culture – les gouttes de liquide dans lesquels les embryons se développent – que nous utilisions dans les boîtes. Nous nous sommes rendu compte que les milieux ne soutenaient pas correctement les mécanismes employés par les embryons très précoces pour contrôler la taille de leurs cellules; ainsi, les embryons ne se développaient pas. En leur donnant un nouveau milieu de culture, nous avons réussi à leur permettre de contrôler la taille de leurs cellules et ainsi de franchir les obstacles au développement et de se développer au point où ils pouvaient s’implanter dans l’utérus. Nous avons trouvé, dans le cadre de cette recherche, que les embryons précoces emploient des mécanismes pour contrôler la taille de leurs cellules qui sont différents des mécanismes employés par d’autres types de cellules pour faire la même chose. Bref, il nous a fallu découvrir comment ces mécanismes s’opéraient et s’assurer que les milieux de culture que nous fournissions aux embryons leur permettaient de fonctionner de manière optimale. 

Q: Que représente pour vous le prix Grimes du mérite scientifique?

R : Il est très gratifiant d’être reconnu de cette manière. C’est une véritable leçon d’humilité que de joindre les rangs des personnes qui se sont déjà vu décerner ce prix. Il s’agit d’une reconnaissance non seulement de mes propres efforts et de ce que j’ai réussi à faire, mais aussi des efforts de tous les collaborateurs de mon laboratoire. C’est vraiment eux qui ont fait le travail. Pardonnez-moi le cliché, mais c’est vrai que c’est grâce à leur travail, et non pas seulement grâce au mien, que je reçois ce prix.

Baltz Lab pose avec Taylor McClatchie tenant sa thèse achevée en 2018

Q: Lorsque vous réfléchissez aux progrès faits dans les technologies de la fertilité depuis vos débuts dans le domaine, quels sont, selon vous, quelques-uns des faits saillants?

R : Le véritable changement concerne la généralisation de la fécondation in vitro et des traitements de l’infertilité. Il existe maintenant des millions et des millions de personnes dans le monde qui sont nées grâce à la fécondation in vitro ou à d’autres technologies connexes. Au Canada, et en Amérique du Nord, plus largement, un peu plus de 15 % des couples sont infertiles sur le plan clinique. Cela fait beaucoup de gens qui ont besoin de ces technologies. 

C’est valorisant de voir que les choses marchent, et c’est génial de travailler dans le domaine depuis les années 80, lorsqu’il s’agissait surtout de techniques expérimentales. C’est aussi gratifiant de voir que les bébés nés il y a maintenant 20 ans ou plus grandissent en bonne santé.  

Q: Où pouvons-nous vous retrouver lorsque vous n’êtes pas au labo?

R : Je passe mes heures libres à faire certaines choses qui n’ont rien à voir avec mon travail à l’hôpital, mais qui exigent le même raisonnement logique nécessaire pour faire de la recherche. Je fais partie de l’association communautaire de mon quartier et je participe ainsi à l’examen des questions de zonage et de planification. J’ai aussi été nommé par le conseil municipal à siéger à ce qu’on appelle un « comité de dérogation », qui approuve des changements mineurs au zonage d’une propriété ou au morcellement d’un terrain dans le but d’en faire plusieurs lots. Je collectionne et restaure aussi des livres rares. J’en ai qui datent du XVIIe siècle que j’utilise encore pour l’enseignement, comme l’ouvrage de William Harvey sur la reproduction animale, qui est parmi les premiers à préciser que tous les animaux proviennent d’ovules, ou encore celui de Reinier de Graaf, qui contient l’une des premières descriptions d’ovaires incluant les follicules ovariens.

Beijing 2005
San Antonio 2007