Publié : mai 2023
Une rencontre aléatoire peut réserver bien des surprises. Ce fut le cas de Holly Wagg et de Lynne Strickland, qui se sont connues en Patagonie, au Chili. Les deux vivaient à Ottawa, mais un heureux hasard les a réunies dans la même chambre d’auberge lors d’une expédition à près de 10 000 km de chez elles. Elles allaient bientôt découvrir qu’elles avaient quelque chose de bien spécial en commun : elles avaient toutes les deux un être cher atteint de leucémie. Les deux femmes avaient une trajectoire bien différente, mais l’inattendu les a pourtant réunies.
Tout a commencé à l’automne de 2015. La femme de Holly, Julia Wagg, avait une fatigue inexpliquée. Cette directrice des ressources humaines à Hydro Ottawa enseignait également à l’école d’administration des affaires Sprott de l’Université Carleton et jonglait une vie avec trois enfants. Elle en avait gros sur les bras. Un jour, cependant, elle a remarqué qu’elle avait du sang dans la bouche. Elle a donc pris rendez-vous chez le dentiste. Début décembre, les symptômes s’intensifiaient. « Une nuit, Julia s’est réveillée vers 2 ou 3 h et a dit qu’elle devait aller à l’hôpital. Elle peinait à respirer à cause d’une douleur thoracique écrasante », se souvient Holly.
Si cette première visite à l’hôpital n’a rien décelé de clairement anormal, la fatigue de Julia persistait au début de l’année suivante. La famille prévoyait un voyage en Afrique et Julia était déterminée à y aller. Holly allait partir plus tôt pour escalader le mont Kilimandjaro. Julia et leur plus jeune fille, Addison, suivraient deux semaines plus tard.
Un diagnostic de leucémie qui fait le tour du monde
Tandis que Holly atteignait le sommet de la montagne, Julia recevait une nouvelle fulgurante en sol canadien. « Pendant que j’étais là-haut, elle s’était rendue à l’hôpital un matin et on lui avait dit qu’elle ne le quitterait pas – elle avait la leucémie, dit Holly. Julia a attendu des jours avant de m’annoncer la nouvelle, pour que je finisse mon ascension. Lorsque je l’ai appris, je suis revenue en toute vitesse. »
Holly est revenue à une réalité très différente que celle qu’elle avait laissée à son départ. Julia a reçu un cocktail de chimiothérapie, administré 24 h sur 24, sept jours sur sept. Elle a été hospitalisée de trois à quatre semaines, et lorsque Holly a enfin pu lui rendre visite à l’hôpital, les retrouvailles ont été déchirantes. « Elle menait ce combat pour la vie et avait tellement de complications à cause de la chimio. Je faisais des recherches et je savais à quoi nous avions affaire. »
Le couple a appris que Julia avait une mutation de la leucémie myéloïde aigüe appelée FLT3. La maladie était agressive. « C’était comme conduire en appuyant à fond sur l’accélérateur; voilà à quelle vitesse le cancer se reproduisait. La plupart des gens ont 10 % de chance de survivre cinq ans, explique Holly. Je me suis donc donné pour mission de faire du temps qu’il nous restait le meilleur temps possible. »
Après une deuxième chimiothérapie et 12 semaines d’hospitalisation, Julia était en rémission. Elle était admissible à une greffe de cellules souches. Donneuse compatible, sa sœur lui a fait don, trois semaines plus tard en mai 2016, de cellules souches dans l’espoir que Julia aurait plus de temps avec sa famille.
Mais une complication n’attendait pas l’autre et Julia a passé pratiquement huit mois à l’hôpital. « Toute son équipe de médecins et d’infirmières et l’équipe de greffe de moelle osseuse au 5 Ouest étaient extraordinaires, se souvient Holly. Lorsqu’elle a quitté l’hôpital en décembre, sa mobilité était réduite, mais Julia a commencé à s’entraîner et à skier quelque temps après. Nous avons appris à faire du ski de fond. »
Profiter au maximum du temps précieux qu’il leur restait
La famille a passé, aux dires de Holly, trois mois parfaits de vie sans cancer. Pendant sa thérapie contre le cancer, Julia n’a jamais promis quoi que ce soit à ses enfants, sauf une chose. Elle a dit à Addison qu’elle serait là pour fêter son sixième anniversaire de naissance, vu que tout allait bien. On a organisé une grande fête sur le thème des fées et tous les amis sont venus célébrer ensemble. « C’était un bel événement joyeux », se souvient Holly.
Mais après la fête, Julia s’est effondrée sur le plancher, terrassée par une douleur osseuse extrême. Cela s’est reproduit le lendemain et elle est allée à l’hôpital. Les résultats des tests sanguins semblaient normaux. On a donc fait une biopsie de moelle osseuse. Lorsque Holly et Julia sont retournées à l’hôpital pour recevoir les résultats, Julia ne pouvait pas marcher.
Le cancer de Julia était revenu. Le couple savait qu’une rechute dans les 12 mois suivant une greffe de cellules souches signifiait qu’une deuxième greffe n’était pas possible. Cela faisait seulement 11 mois.
Julia est décédée à l’Unité de soins intensifs de L’Hôpital d’Ottawa une semaine et demie plus tard. « Toutes les personnes qui l’aimaient entouraient son lit ce soir-là. J’ai amené Addi dans la chambre et j’ai emporté Harry Potter, que nous étions en train de lire à ce moment-là. Pendant que je lisais, le cœur de Julia a commencé à ralentir. Je voulais m’arrêter, mais je savais qu’elle avait besoin de m’entendre. Elle avait besoin de savoir que nous allions tous bien, se souvient Holly. Jules était entourée d’amour et a choisi de lâcher prise pendant ce bien-aimé rituel du coucher. »
Une chercheuse « boule de feu »
Avant de mourir à 36 ans, Julia a eu avec Holly des conversations difficiles, mais sincères. Pendant ses longs mois passés à l’hôpital, elle a été témoin de beaucoup de choses comme patiente dans un hôpital d’enseignement. Elle a vu bien des résidents en médecine et des stagiaires en soins infirmiers. Elle acceptait souvent que des résidents fassent sur elle leur premier prélèvement de sang et a permis à deux médecins de faire sur elle leur première biopsie de moelle osseuse. Elle voulait aider.
« Elle a été soignée par plusieurs médecins, dont la Dre Natasha Kekre. Véritable boule de feu, cette chercheuse jeune et brillante voulait commencer un essai clinique at L’Hôpital d’Ottawa pour réaliser des percées dans le traitement de la leucémie avec des thérapies immunocellulaires CAR-T. Julia voulait propulser cette recherche. »
Vu l’agressivité de son cancer, elle a également interagi avec de nombreux médecins qui étaient aussi chercheurs. « Julia était très curieuse et leur posait des questions sur leurs projets. Elle a été soignée par plusieurs médecins, dont la Dre Natasha Kekre. Véritable boule de feu, cette chercheuse jeune et brillante voulait commencer un essai clinique at L’Hôpital d’Ottawa pour réaliser des percées dans le traitement de la leucémie avec des thérapies immunocellulaires CAR-T. Julia voulait propulser cette recherche », explique Holly.
Julia et Holly avaient lu au sujet de cette thérapie et savaient quelles possibilités elle pouvait offrir à des patients comme Julia dans le futur. C’était la première grande révolution dans le traitement de la leucémie en plus de 20 ans. Elles avaient vu ce qui se produisait aux États-Unis et croyaient que les patients au Canada devraient y avoir accès. « Il était très important pour nous deux de participer à une recherche qui allait améliorer les choses pour les autres dans l’avenir. Ainsi, pour nous, ce legs avait pour but d’éviter à d’autres familles ce que nous avions vécu. Nous voulions faire partie de ce changement », affirme Holly.
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Qu’est-ce qu’une thérapie immunocellulaire CAR-T?
Le legs de Julia et son engagement envers la recherche
Julia a donc décidé de prévoir dans son testament un don pour soutenir la recherche à L’Hôpital d’Ottawa. Son legs lui survivrait. Holly a pris le même engagement afin d’appuyer les vœux de Julia et de financer davantage encore des recherches qui leur étaient si chères.
En 2019, L’Hôpital d’Ottawa est devenu l’un des trois centres de la province à administrer le programme ontarien d’immunothérapie cellulaire CAR-T pour adultes. C’était précisément le genre de progrès que Julia aurait souhaité. Grâce à ce programme, il était possible de prélever ici des lymphocytes T de patients et de les envoyer aux États-Unis pour qu’elles soient génétiquement transformées en cellules CAR-T. Retournées à l’hôpital, ces cellules pouvaient être réinjectées dans le patient afin de cibler et d’attaquer le cancer. Cependant, seuls les patients qui ont un type bien précis de lymphome et de leucémie y sont admissibles. De plus, l’immunothérapie cellulaire CAR-T commerciale est très coûteuse et demande beaucoup de temps : il faut jusqu’à huit semaines pour fabriquer, mettre à l’essai et transporter les cellules, temps dont les patients les plus gravement touchés ne disposent pas.
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La Dre Kekre n’était pas satisfaite de cette situation. Elle voulait créer une solution canadienne au problème. Aujourd’hui, elle aide à diriger un essai clinique d’immunothérapie cellulaire CAR-T, inédit au Canada, dans notre hôpital. Cet essai pourrait rendre possible un traitement plus rapide, moins coûteux et plus équitable dans tout le pays. Il sert aussi de plateforme pour l’élaboration d’immunothérapies cellulaires encore meilleures qui pourraient fonctionner pour d’autres types de cancer. Des installations de recherche de calibre mondial à L’Hôpital d’Ottawa, comme le Centre de fabrication de produits biothérapeutiques, ont joué un rôle clé dans la création de cette plateforme.
« C’était incroyable de recevoir des nouvelles du projet, car nous avons appris qu’il y aurait un essai clinique et qu’il y avait déjà des résultats très prometteurs, dit Holly. Et puis, j’ai vu le premier visage d’un participant à l’essai clinique, un homme appelé Owen. J’ai ensuite lu l’histoire de Camille, que j’ai trouvée renversante. »
Créer un lien
Les répercussions de la vision d’avenir de Julia sont devenues encore plus personnelles lors d’une rencontre au hasard dans un autre hémisphère en février 2020. Holly et Lynn étaient toutes les deux en quête d’aventure en Patagonie. C’était un moment charnière pour Holly : le premier voyage qu’elle faisait depuis la mort de Julia. Un lien s’est tissé entre les deux femmes lorsqu’elles se sont aperçu que quelque chose les unissait : la fille de Lynne, Nicole Strickland, avait reçu en 2018 un diagnostic de leucémie lymphoblastique aigüe et été traitée à L’Hôpital d’Ottawa.
« Nous nous comprenions l’une l’autre, car nous avions toutes les deux un être cher qui avait vécu une leucémie, avec les difficultés que cela comporte, et une greffe de cellules souches. Mais lorsque Nikki a fait une rechute, je me suis souvenue que Holly avait parlé du legs de Julia qui avait été destiné au financement de la recherche sur l’immunothérapie cellulaire CAR-T », explique Lynne.
Nicole n’avait que 19 ans et étudiait au collège militaire lorsqu’elle a reçu son diagnostic. Elle était en poste à la Base des Forces canadiennes Petawawa pour acquérir de l’expérience auprès de l’escadron d’hélicoptères. Elle a reçu une chimiothérapie, mais comme son cancer était agressif, son équipe de soins à L’Hôpital d’Ottawa a recommandé une greffe de cellules souches. Celle-ci a eu lieu en septembre 2018, après quoi Nicole est entrée en rémission.
À l’été 2021, Nicole était en poste avec une nouvelle unité à Halifax et faisait des analyses de sang régulières. Elle a alors appris que son cancer était revenu. Mais cette fois-ci, elle a reçu une immunothérapie à Halifax, suivie d’une immunothérapie cellulaire CAR-T qui l’obligeait à retourner à L’Hôpital d’Ottawa.
« Entre l’immunothérapie cellulaire CAR-T et la greffe de cellules souches, il y avait un monde de différence, explique Nicole. J’ai perdu 40 livres avec la greffe de cellules souches. Je ne pouvais pas manger. Je suis même passée à deux doigts d’avoir une sonde d’alimentation, ce qui m’a fait peur. J’ai mis environ huit mois à me rétablir, et j’ai dû attendre une année complète de plus pour retourner au centre de conditionnement physique. C’était aussi exigeant mentalement. Mais avec la thérapie CAR-T, j’avais de l’énergie et mon moral était bon. Il y avait seulement quelques jours où je n’étais pas dans mon assiette, mais cela ne durait pas. »
L’immunothérapie cellulaire CAR-T redonne espoir à Nicole
Nicole était admissible au programme d’immunothérapie cellulaire CAR-T de l’Ontario. Ainsi, on a envoyé aux États-Unis des lymphocytes T prélevés sur la patiente pour qu’elles soient génétiquement modifiées en cellules CAR-T. Une fois renvoyées à L’Hôpital d’Ottawa, les cellules ont été injectées dans l’organisme de Nicole.
« Si on n’a pas vécu ce que ma famille et moi avons vécu, il est très difficile de comprendre à quel point appuyer une telle cause peut faire une différence. L’immunothérapie cellulaire CAR-T m’a redonné ma vie – je suis tellement reconnaissante. »
Aujourd’hui, 18 mois après ce traitement, Nicole poursuit sa carrière militaire en tant qu’officier opérationnel à Halifax et gagne en force chaque jour. Elle est profondément reconnaissante envers des personnes comme Julia qui ont eu la prévoyance d’investir dans la recherche sur le cancer. « Si on n’a pas vécu ce que ma famille et moi avons vécu, il est très difficile de comprendre à quel point appuyer une telle cause peut faire une différence. L’immunothérapie cellulaire CAR-T m’a redonné ma vie – je suis tellement reconnaissante. »
Ce sont les gens qui appuient la recherche qui ouvrent pour des patients comme Nicole la voie vers de meilleurs résultats. Selon Lynne, les travaux qui ont précédé des percées comme l’immunothérapie cellulaire CAR-T sont aussi importants que le reste. « Lorsque Nikki a eu sa greffe de cellules souches, le personnel avait un plan pour la soigner, et ce plan existait à cause de la recherche et des investissements que d’autres ont faits avant que la thérapie CAR-T soit une option. C’est une question d’amener des solutions qui ne font pas que sauver la vie d’une personne, mais qui sauvent aussi toute la famille », affirme Lynne.
« C’est une question d’amener des solutions qui ne font pas que sauver la vie d’une personne, mais qui sauvent aussi toute la famille. »
Quant à Holly, elle ne s’attendait pas à nouer des liens avec Lynne et à voir une personne aussi jeune que Nicole réussir. « Comme donatrice, quelqu’un qui investit dans la recherche, je ne me serais jamais attendue à voir une transformation pendant ma vie. Je suis prête à attendre et à être patiente. Mais je ne m’attendais pas du tout à voir de mon vivant un changement dans la pratique médicale. Et encore moins de le voir seulement quelques années après la mort de ma femme. »
L’héritage de Julia subsiste à ce jour, non seulement chez ses trois enfants, Robin, Brandin et Addison, mais aussi par la recherche qu’elle a aidé à financer, une recherche qui est en train de changer le cours de la cancérologie. Plus Holly fait de liens entre des visages et la recherche et plus elle entend parler d’histoires de survie, plus elle voit la vie de Julia se perpétuer. « Quand on pense à un héritage, à ce qu’on laisse derrière soi pour les autres et à comment on façonne le monde, il n’y a rien de plus puissant que de savoir que d’une certaine façon, on a donné à d’autres une nouvelle chance de vivre. »