C’était le 7 mars 2018. Leata n’avait pas vu Joellie depuis cinq semaines. Elle avait été au Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario, à Ottawa, avec leur fille de trois ans qui avait besoin d’une chirurgie dentaire.
Lorsqu’ils sont rentrés de l’aéroport, Joellie a dit qu’il ne se sentait pas bien et est allé se coucher. Il s’est réveillé fiévreux. Leata a appelé sa tante qui se demandait s’il ne souffrait pas d’un accident vasculaire cérébral.
« J’ai appelé le poste de soins infirmiers et on m’a dit de l’amener ici. Notre camion ne marchait pas, alors nous avons pris la motoneige. Il [Joellie] a conduit jusqu’au poste de soins infirmiers », a dit Leata. Les infirmières ont vu que quelque chose n’allait pas et ont commencé à appeler des médecins d’Iqualuit qui ont pris des dispositions pour procéder à l’évacuation sanitaire à partir de leur collectivité du nord-ouest de l’île de Baffin.
Joellie s’est évanoui au poste de soins infirmiers. Il n’a pas repris connaissance avant d’arriver à l’Hôpital général de Qikiqtani, à Iqaluit, où il a subi un tomodensitogramme. Les nouvelles n’étaient pas bonnes.
Une opération de sept heures et 52 points de suture
« D’abord, le médecin nous a dit que Joellie avait une tumeur, puis on nous a dit qu’il avait un cancer du cerveau », dit Leata.
Elle n’était à la maison que depuis moins de 48 heures lorsqu’elle s’est retrouvée à nouveau à Ottawa. Le Centre de cancérologie de L’Hôpital d’Ottawa, en vertu d’une entente avec le gouvernement du Nunavut, offre des services de cancérologie aux résidents de l’est du Nunavut. En général, un seul membre de la famille ou ami proche accompagne le patient. Les Qaunaq savaient que le traitement du cancer pouvait durer plusieurs semaines, voire des mois. Ils étaient prêts à quitter leur famille, leurs amis et leur réseau de soutien communautaire pour une période indéterminée pendant que Joellie suivait un traitement.
Le couple, marié depuis 29 ans, a quatre enfants. Ainsi, avant de partir vers le sud, Leata s’est arrangée pour que leurs deux enfants cadets (13 et 3 ans) restent avec le fils aîné, dont la femme attendait un bébé en avril. Ce serait le premier petit-enfant de Joellie et de Leata, et ils savaient qu’ils allaient manquer la naissance du bébé.
Joellie a subi une intervention chirurgicale de sept heures pour enlever sa tumeur au cerveau. Il s’est réveillé avec le côté gauche de la tête rasé et 52 points de suture de l’oreille à la tempe.
« Ce n’est pas une sorte de cancer qui se guérit »
« Joellie avait une tumeur appelée glioblastome. C’est le type de tumeur cérébrale le plus courant chez les adultes », a déclaré le Dr Garth Nicholas, l’oncologue médical de Joellie. « Ce n’est pas une sorte de cancer qui se guérit avec notre traitement. Le but est d’essayer d’empêcher ce cancer de progresser ou de s’aggraver aussi longtemps que possible. »
Le glioblastome multiforme est une forme mortelle et extrêmement agressive de cancer qui commence dans le cerveau. Ses cellules tumorales s’insinuent comme des tentacules dans des parties du cerveau où les neurochirurgiens ne peuvent pas les voir et ne peuvent donc pas les enlever.
- Chaque année, 1 000 Canadiens reçoivent un diagnostic de glioblastome.
- Deux personnes sur 100 000 sont touchées.
- Cela représente 12 % de toutes les tumeurs de la tête.
- Il touche plus les hommes que les femmes.
- Le plus souvent, il s’agit d’adultes de 45 à 75 ans.
- Le taux de survie est inférieur à 10 %, cinq ans après le diagnostic.
- Gord Downie, le chanteur de The Tragically Hip, et Paul Dewar, un politicien d’Ottawa, sont tous deux morts de ce type de cancer du cerveau.
- Du nouvel équipement et de nouvelles techniques pourraient aider à améliorer les résultats.
Surmonter les barrières linguistiques et culturelles
En plus d’avoir perdu l’ouïe, conséquence d’une vie de chasseur et du fait d’être proche du bruit des fusils de chasse, Joellie parlait l’inuktitut et avait une connaissance limitée de l’anglais. Il a eu de la difficulté à comprendre son diagnostic et les options de traitement qui s’offraient à lui. Heureusement, Leata parle couramment l’anglais et pouvait défendre vigoureusement le traitement de son mari. Ce n’est toutefois pas le cas de nombreux patients inuits.
« Je pense que les défis et les difficultés, au-delà de sa tumeur cérébrale, n’étaient pas liés à la tumeur de Joellie, mais au fait d’être loin de chez lui et à la barrière linguistique », dit le Dr Nicholas.
Réalisant ces défis, le Dr Nicholas a dirigé les Qaunaq vers Carolyn Roberts, infirmière pivot des Premières Nations, des Inuits et des Métis dans le cadre du Programme de cancérologie pour les autochtones. Elle aide de nombreux patients inuits à comprendre le système de santé et à s’y retrouver tout au long de leur traitement contre le cancer.
« L’autonomie est la pierre angulaire de l’ensemble de notre système de pratique éthique. Les gens peuvent décider ce qu’ils veulent faire et sont censés participer aux mesures prises en ce qui concerne leur santé. Toutefois, la combinaison de la langue, de l’éducation et des attentes culturelles fait qu’il est difficile pour les gens du Nord de participer, a déclaré le Dr Nicholas. Le programme avec Carolyn est utile à cet égard, car elle les aide à comprendre qu’il ne s’agit pas de leur faire quelque chose, mais bien de le faire avec eux et pour eux. »
« Lorsque je rencontre des patients, je leur dis que je ne suis pas une infirmière comme les autres, dit Carolyn. Je ne suis pas simplement là pour répondre à des questions sur le cancer. Je suis là pour répondre à toutes leurs questions, mais pas nécessairement sur la santé. C’est le message que je donne à chaque patient. »
Il n’y a pas beaucoup de similitudes entre Ottawa et les petites collectivités de l’Arctique où vivent de nombreux patients inuits. Suivre un traitement contre le cancer dans un endroit si fondamentalement différent de leur domicile a des conséquences négatives sur les patients et leur santé mentale.
Le fait de comprendre la culture de quelqu’un et d’éliminer les obstacles grâce au langage universel de la compassion et du rire aide les patients à se sentir plus à l’aise et plus confiants dans leur combat contre le cancer.
« Nous nous sommes vraiment efforcés de ne pas trop nous concentrer sur le cancer. Ça nous a rapprochés, mais ça ne les définit pas. » –Carolyn Roberts, infirmière pivot, Premières Nations, Inuits et Métis
Le Dr Nicholas a dit qu’il voit bien comment Carolyn et le Programme de cancérologie pour les autochtones améliorent les choses pour les patients. « Je peux penser à des patients qui n’auraient pas reçu de traitements et qui seraient tout simplement rentrés chez eux. Ils étaient dépassés par rapport à tout ce qui arrivait et ils seraient tout simplement partis, mais Carolyn s’est occupée d’eux. Ils ont fini par rester et par suivre un traitement, et les traitements ont été fructueux, a déclaré le Dr Nicholas. Le programme a eu des résultats médicaux mesurables. »
De retour à la maison, entouré de la famille et des amis
Joellie a reçu sa dernière radiothérapie à Ottawa le 29 mai 2018. Il a ensuite reçu son congé de l’hôpital et s’est empressé de retourner chez lui à la baie de l’Arctique, auprès de sa famille et de ses amis.
Le suivi du Dr Nicholas auprès de Joellie et son traitement pour aider à garder le cancer à distance s’est poursuivi. Tous les mois, il subissait des analyses sanguines et les résultats étaient télécopiés au Dr Nicholas, qui appelait Leata pour savoir si Joellie pouvait aller de l’avant et prendre les médicaments de chimiothérapie qu’on lui avait prescrits à la maison. Après que Joellie ait terminé la chimiothérapie de six mois, il a subi des tomodensitogrammes de suivi que le Dr Nicholas a reçus sur son ordinateur comme si Joellie était un patient local.
Heureusement, Joellie allait encore relativement bien lorsqu’il est rentré chez lui en mai dernier et a pu passer du bon temps avec sa nouvelle petite-fille et sa famille.
Le glioblastome est un cancer qui revient toujours. Celui de Joellie n’a pas fait exception. Près d’un an après avoir reçu son congé de l’hôpital, Joellie a vu sa santé se détériorer et, malheureusement, il est décédé le 5 mai 2019. Il était entouré de ses proches et de sa famille.
Grâce aux dons de notre généreuse collectivité, les chercheurs de L’Hôpital d’Ottawa ont fait d’immenses avancées dans l’amélioration des traitements contre le cancer. Ce sont des patients comme Joellie qui inspirent nos soignants et nos chercheurs à s’efforcer de trouver un remède.
Fièrement affilié à l’Université d’Ottawa, L’Hôpital d’Ottawa est un centre de recherche et de santé universitaire de premier plan.