Tous les jours, le Dr Bernard Thébaud forge l’avenir des plus jeunes membres de notre collectivité. Scientifique principal à l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa et néonatologiste au CHEO, le Dr Thébaud soigne des nouveau-nés gravement malades. Né et élevé à Munich, il a étudié la médecine à Strasbourg et la pédiatrie à Paris avant d’entreprendre sa carrière en recherche à l’Université de l’Alberta, où il a terminé ses études postdoctorales. L’Hôpital d’Ottawa l’a recruté en 2012 dans le but de faire avancer le traitement de maladies pulmonaires à l’aide de thérapies à base de cellules souches.
En 2022, le Dr Bernard Thébaud a reçu le prix Dr Michel Chrétien du chercheur de l’année grâce à sa recherche avant-gardiste sur la santé néonatale, notamment un récent article sur la façon dont une nanothérapie permet non seulement de protéger les poumons de microprématurés, mais aussi le cerveau de bébés rongeurs.
Découvrez le sport qui l’a inspiré à étudier la médecine.
Q : Pourriez-vous nous parler un peu de votre enfance?
R : Lorsque je pense à mes premières années de vie, une chose ressort en particulier : ma passion pour un sport, le soccer. C’était l’école, les devoirs, puis le soccer jusqu’au crépuscule.
Mon entraîneur était un ancien membre de l’équipe nationale allemande et il m’a tout appris sur le « beau sport » : la discipline, la perfection, l’importance d’un mode de vie sain, la résilience. Et toutes ces leçons m’ont été d’un grand secours dans la vie.
Ce que j’ai appris de plus important, c’était d’avoir un impact. Dans les sports compétitifs, le but est toujours de gagner. Il faut donc se demander : Pouvez-vous faire une différence? Pouvez-vous changer la donne?
Ici à L’Hôpital d’Ottawa, c’est exactement la même chose : Comment pouvons-nous changer la donne pour nos bébés? Au fond, nous cherchons à améliorer les résultats cliniques des bébés nés trop tôt. Et tout ce qui ne vise pas cet objectif ne mérite pas qu’on s’y attarde.
En ce moment, nous avons vraiment besoin d’une autre percée. J’espère que mes travaux de recherche y seront pour quelque chose.
Q : Comment êtes-vous devenu néonatologiste?
R : Je me souviens très clairement du jour où j’ai décidé d’aller en médecine. J’avais 14 ou 16 ans et mon père m’a demandé : « Alors, que veux-tu faire plus tard dans la vie? » « Je ne sais pas », lui ai-je répondu. « Pourquoi ne pas devenir médecin du sport? », m’a-t-il demandé. Alors j’ai dit : « C’est ça! ». À partir de ce moment, je voulais devenir médecin.
Bien entendu, au cours des études en médecine et au fil des rencontres qu’on y fait, on découvre ce qui nous passionne. J’ai fait un externat en chirurgie pédiatrique et j’ai adoré cela. Dès le premier jour, je savais que je deviendrais pédiatre.
Plus tard, la néonatologie m’a intéressé parce qu’elle alliait urgence et physiologie. J’ai eu d’excellents professeurs qui m’ont beaucoup appris sur la beauté de la néonatologie. Ils m’ont appris à ne pas baisser les bras devant le statu quo et les protocoles à suivre, mais plutôt à penser tous les jours à comment améliorer les choses, petit à petit.
Puis, j’ai découvert une nouvelle dimension, la recherche. J’ai découvert qu’on pouvait répondre à de grandes questions dans un laboratoire. Je trouvais cela fascinant.
Q : Comment la néonatologie a-t-elle évolué depuis vos débuts?
R : Il y a eu des percées incroyables en néonatologie dans les années 1990, lorsqu’on a utilisé du surfactant pour traiter la détresse respiratoire aiguë chez les bébés prématurés. La recherche a montré que ces bébés avaient une carence en surfactant, mais il a fallu 30 ans pour convertir ce produit en médicament. Beaucoup de mes collègues ont pratiqué la néonatologie lorsque le surfactant n’existait pas, et ils peuvent vraiment attester de la différence entre les deux époques. Lorsqu’on observe la vitesse d’action du surfactant, on est vraiment impressionné.
Puis, ce fut l’aire de l’oxyde nitrique inhalé, qui servait plutôt à traiter l’hypertension pulmonaire. Cela aussi était révolutionnaire.
Si la survie des nouveau-nés s’est améliorée, les néonatologistes sont en quelque sorte victimes de leur succès. D’une part, nous pouvons soigner et sauver davantage de bébés prématurés qui sont nés de plus en plus tôt. D’autre part, les organes de ces bébés sont plus jeunes, moins matures et plus fragiles. Il est donc plus difficile de les protéger.
Environ tous les 15 ans, nous voyons la population de patients changer et nous devons nous améliorer. En ce moment, nous avons vraiment besoin d’une autre percée. J’espère que mes travaux de recherche y seront pour quelque chose.
Qu’est-ce que le surfactant?
Le surfactant est un liquide que produisent les poumons pour garder les voies respiratoires ouvertes. La production commence à 26 semaines de gestation. Les bébés qui naissent avant 37 semaines n’en ont parfois pas assez pour bien respirer.
Q : Pouvez-vous nous parler un peu de votre recherche?
R : Il est possible que nous ayons vraiment atteint la limite de la viabilité biologique : les poumons des plus jeunes bébés dans l’Unité de soins intensifs néonataux sont si immatures qu’il faudrait une nouvelle percée pour prévenir les lésions à ces poumons tout en favorisant leur croissance. Nous croyons que cette percée pourrait venir des thérapies à base de cellules souches pour régénérer les poumons.
Je me penche sur ces thérapies pour traiter la maladie pulmonaire chronique due à la prématurité, soit la dysplasie bronchopulmonaire. En plus d’être la complication la plus courante chez les prématurés, cette maladie pose un risque pour le développement neurologique. Elle nécessite aussi beaucoup d’oxygène et administrer à ces bébés l’oxygène dont ils ont besoin est nocif pour leurs yeux, ce qui risque de causer de la cécité ou une déficience visuelle. Si nous arrivions à traiter une maladie, nous pourrions en fait en éliminer trois d’un coup. Si nous pouvons protéger les poumons avec ces cellules, cela améliorera les résultats pour ces bébés prématurés.
Q : Qu’est-ce que les fonds de l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa représentent pour votre recherche?
R : Ils sont absolument essentiels. Ce financement est une priorité absolue. Un institut de recherche bien doté est synonyme d’une recherche de meilleure qualité et d’une transition plus rapide entre le laboratoire et le patient. Ainsi, des découvertes aujourd’hui se traduisent par des médicaments révolutionnaires demain.
Nous demandons des fonds du gouvernement fédéral, mais pour que la recherche apporte vraiment quelque chose au patient et pour que les découvertes passent du laboratoire au chevet, il faut absolument des fonds supplémentaires, sans quoi nous n’obtiendrons rien.
Un institut de recherche bien doté est synonyme d’une recherche de meilleure qualité et d’une transition plus rapide entre le laboratoire et le patient. Ainsi, des découvertes aujourd’hui se traduisent par des médicaments révolutionnaires demain.
Q : Pourquoi la recherche primée sur une nanothérapie qui protège à la fois les poumons et le cerveau est-elle si prometteuse?
R : À l’heure actuelle, les bébés atteints de dysplasie bronchopulmonaire vivent des conséquences neurodéveloppementales défavorables. La fonction du cerveau est notamment perturbée et nous n’en connaissons pas la cause.
Le traitement actuel est l’administration d’un corticostéroïde appelé dexaméthasone qui prévient l’inflammation dans les poumons. Le problème est qu’il arrête en plus la croissance du cerveau et des poumons. D’un côté, il est favorable; de l’autre, il est défavorable.
Dans le cadre de cette recherche, nous avons utilisé notre modèle traditionnel de lésions pulmonaires. Au lieu d’examiner les poumons, nous avons plutôt mis le cerveau sous la loupe. Nous avons ensuite prouvé que ce qui cause la dysplasie bronchopulmonaire cause aussi une anomalie au niveau des cellules souches du cerveau.
Nous avons ensuite montré que la thérapie cellulaire toujours sur notre planche à essai protège non seulement les poumons, mais aussi les cellules souches du cerveau. C’est essentiellement la thérapie parfaite parce qu’elle n’a pas d’effet indésirable.
Q : Que signifie le prix Dr Michel Chrétien du chercheur de l’année à vos yeux?
R : Il me prouve que nous réalisons un travail crucial. C’est extrêmement motivant. Ce prix très prestigieux montre que notre travail est important et que nous sommes sur la bonne voie.
Q : Qu’est-ce qui vous inspire le plus en néonatologie?
R : Je trouve la résilience des bébés fascinante. Leurs poumons sont si immatures, mais ils réussissent quand même à respirer; oui, nous devons les y aider, mais ils ont le potentiel. Nous ne faisons que leur apporter l’aide qu’il leur faut.
Le plus emballant, c’est lorsqu’ils rentrent chez eux. C’est à ce moment qu’on a les larmes aux yeux et qu’on se dit : « Formidable, il s’en est tiré ». Et bien sûr, les parents jubilent. Vous savez que lorsque le bébé rentre chez lui, il ira très bien.
À mon avis, travailler avec des bébés est le plus beau métier au monde. Parce qu’à la naissance, ils ont encore toute leur vie et tout leur potentiel devant eux. Notre tâche consiste à leur donner un grand élan.