Publié : octobre 2024
Brandon Peacock raconte dans ses propres mots ce qui s’est produit l’après-midi du 29 juin 2020 lorsqu’il a reçu trois balles qui ne lui étaient pas destinées pendant une fusillade au volant d’une voiture et a été transporté d’urgence au Centre de traumatologie de L’Hôpital d’Ottawa.
AVERTISSEMENT : Cette histoire révèle des détails sur des blessures graves causées par arme à feu.
Nous étions à la fin du mois de juin 2020, c’est-à-dire en pleine pandémie. Je travaillais donc de 9 à 5 à la maison, comme bien d’autres personnes. Je n’avais que 23 ans à l’époque. La chaleur de l’été s’était bien installée et mes cheveux commençaient à être longs. J’ai donc décidé de faire un saut chez le coiffeur en fin d’après-midi pour une coupe rapido presto.
Cette coupe n’a jamais eu lieu. Ma vie a plutôt basculé au moment où je me suis approché de la porte du salon de coiffure. Je me suis retrouvé en plein milieu d’une fusillade au volant : j’étais au mauvais endroit au mauvais moment.
Lorsque les coups de feu ont retenti, j’ai utilisé mon corps pour protéger la femme qui ouvrait la porte du salon. J’ai senti trois balles m’atteindre. L’une d’elles a traversé la partie inférieure gauche de mon omoplate, puis elle est sortie par ma clavicule sans toucher le cœur et les poumons. La théorie est que la balle a ricoché sur l’une de mes côtes parce que la plupart de mes côtes étaient cassées du côté gauche.
La deuxième balle m’a atteint au genou gauche. C’était une balle par ricochet qui a d’abord touché le mur avant de m’atteindre. Cette blessure n’était pas trop grave. La troisième balle a en revanche touché l’artère fémorale de la jambe droite. C’est un « coup mortel » dans la plupart des cas.
« J’étais déterminé à survivre. »
La femme que j’ai protégée a pris des serviettes et a commencé à comprimer mes blessures pour ralentir le saignement autant qu’elle le pouvait. Ma jambe perdait rapidement du sang. Je savais que ce n’était pas bon signe, mais pendant que j’attendais les secours, j’étais malgré tout persuadé que j’allais m’en sortir. Je devais juste continuer de me battre. Je n’ai jamais eu peur. J’étais déterminé à survivre.
Pendant les premières minutes de l’attente des secours, la femme a composé le numéro de ma mère pour que je puisse lui parler. Je lui ai raconté ce qui s’était passé et je lui ai dit : « Je t’aime et ne t’inquiète pas. ».
Le premier policier est arrivé sur les lieux après quatre minutes. Il a immédiatement posé un garrot sur ma jambe, ce qui nous a donné le temps d’arriver à l’hôpital. Ce policier a posé un geste décisif qui m’a maintenu en vie assez longtemps pour atteindre le Centre de traumatologie. D’après ce qu’on m’a dit, s’il était arrivé 30 secondes plus tard, mon sort aurait pu être très différent. Lorsque les professionnels de la santé affirment que chaque seconde compte, ils ont tellement raison.
« Il n’a pas cessé de me parler pendant tout ce temps. Il me parlait comme si j’étais son fils. »
Évidemment, les choses deviennent un peu floues à partir de là, mais c’est en début de soirée, vers 18 h, que je suis arrivé au Centre de traumatologie de L’Hôpital d’Ottawa, qui est situé au Campus Civic. Heureusement, il n’était pas trop éloigné du lieu de l’incident. À partir de là, tout s’est passé très vite.
Je me suis soudain retrouvé entouré d’excellents chirurgiens de chaque division. Je sais maintenant que c’est l’équipe de traumatologie. Il y avait aussi des résidents et des infirmières. En fait, toutes les personnes auxquelles on peut penser étaient prêtes.
Rencontre avec le DreJacinthe Lampron, directrice médicale, Traumatologie, L’Hôpital d’Ottawa
« Nous avons transformé une blessure par balle potentiellement mortelle en une histoire de survie grâce à notre engagement inébranlable envers les soins aux patients. »
— DreJacinthe Lampron
« J’avais encore mes deux jambes, mais je n’étais toujours pas tiré d’affaire. »
Je souffrais de ce que l’on appelle le syndrome des loges, qui se produit lorsqu’il y a une accumulation douloureuse de pression autour des muscles. Le mien était dû à l’accumulation de sang dans ma jambe droite. J’ai dû subir une double fasciotomie – un autre terme dont je n’avais jamais entendu parler auparavant. C’est une intervention d’urgence pour soulager la pression, mais nous ne savions pas si elle permettrait de sauver ma jambe.
Cette opération était cruciale pour orienter mon avenir et a duré environ huit heures. En plus de la double fasciotomie, ils ont également effectué un pontage fémoral pour retirer la veine de ma jambe gauche et remplacer l’artère de ma jambe droite. L’opération a été longue, mais j’ai tenu jusqu’au lendemain. Lorsque je me suis réveillé aux soins intensifs le lendemain matin, j’avais encore mes deux jambes, mais je n’étais toujours pas tiré d’affaire.
« Les chambres individuelles qui seront aménagées au nouveau campus changeront vraiment l’expérience des patients comme moi. »
J’avais maintenant un tube pour m’aider à respirer et j’étais relié à de nombreux appareils. J’ai reçu de multiples transfusions sanguines et j’ai perdu énormément de poids. J’étais fragile. Ma jambe ressemblait à un gros ballon. Mes côtes étaient cassées. J’étais cloué au lit. À cause de la pandémie, j’ai été transféré dans une chambre où j’ai dû partager l’espace avec une, puis deux autres personnes. Je n’ai pas beaucoup dormi à ce moment-là. En fait, les chambres individuelles qui seront aménagées au nouveau campus changeront vraiment l’expérience des patients comme moi et offriront un bien meilleur environnement pour se rétablir, notamment en créant un environnement propice au sommeil.
Dès le deuxième jour, j’ai essayé de cesser les analgésiques. Je m’endormais et je rêvais que je courais et faisais du sport avec des amis, puis je me réveillais et revenais à la réalité. J’ai donc arrêté ces médicaments rapidement. Ça a été difficile, mais c’est là que j’ai vraiment commencé à comprendre tout ce que je venais de vivre. Je voulais avoir l’esprit clair pour comprendre ce qui s’était passé. J’ai commencé à faire des progrès mentaux rapidement.
Le cinquième jour, je devais avoir une greffe de peau à cause de la grandeur de la fasciotomie sur ma jambe droite. L’Hôpital a toutefois continué de repousser les opérations. C’est alors que le Dr Linden Head, chirurgien plasticien, s’est manifesté et a suggéré de suturer la jambe sur une période de trois jours. Il a réussi. Grâce à lui, il n’a pas été nécessaire de procéder à une douloureuse greffe de peau et à une opération qui, à l’origine, devait durer deux semaines. Je lui suis reconnaissant. Il a été incroyable.
« C’est à ce moment-là qu’un véritable sentiment de détermination s’est installé en moi. »
Il a ensuite été important que je bouge le moins possible pour assurer la cicatrisation de l’incision – ce qui n’a pas été trop difficile parce que je n’en étais pas capable de toute façon. Au neuvième jour, par contre, l’équipe de physiothérapie m’a permis de me lever et d’utiliser une marchette. C’est à ce moment-là qu’un véritable sentiment de détermination s’est installé en moi : je voulais rentrer chez moi et j’étais prêt à faire tout ce qu’il fallait pour y parvenir.
Je me souviens que ma physiothérapeute m’a dit que si je pouvais marcher dans le couloir, entrer dans la cage d’escalier et monter deux marches, je pouvais partir parce que c’est tout ce qu’il me faut techniquement pour rentrer chez moi. J’ai dit : « Faisons-le. ». Elle m’a dit : « Non, non. Il faut progresser jusqu’à cette étape. ».
Déterminé à obtenir le feu vert pour sortir, je lui ai répondu : « Je vais le faire tout de suite. ». Et je l’ai fait. J’ai marché dans le couloir, j’ai monté deux marches, j’ai fait demi-tour et je suis revenu. À mon retour, je me souviens avoir bu trois Gatorade.
Cette marche a été la chose la plus difficile que j’aie jamais faite. Depuis, je me suis entraîné pour deux marathons et je m’entraîne maintenant pour un Ironman Canada. La chose la plus difficile que j’ai jamais faite dans ma vie demeure cette marche dans le couloir.
Le lendemain, j’ai reçu le feu vert pour rentrer chez moi. Il est vrai que j’ai peut-être dû insister auprès de mon équipe médicale, mais, chose incroyable, j’ai quitté l’hôpital dix jours après y avoir été admis d’urgence en m’accrochant à la vie. J’ai quitté l’hôpital en fauteuil roulant et mon père m’a portée jusqu’à la maison –, mon corps était très faible.
« Il a travaillé avec moi cinq heures par jour sept jours par semaine dans sa salle de sport à domicile. »
À partir de ce jour, j’ai dû concentrer mes efforts sur deux points : regagner ma force et accepter l’acte violent dont j’ai été la victime innocente en cette fin d’aprèsmidi de juin.
Rappelez-vous que nous étions en pleine pandémie. Mon meilleur ami était physiothérapeute. Son cabinet était fermé. Il a travaillé avec moi cinq heures par jour sept jours par semaine dans sa salle de sport à domicile. Ensemble, nous avons travaillé dur. J’ai tenu bon avec une détermination sans faille pendant 90 jours. Nous étions inséparables.
Les deux premières semaines, je suis retourné à l’hôpital tous les deux jours. Ensuite, j’y suis allé une fois par semaine et, à la fin du mois d’août, ils voulaient me voir tous les six mois. Lors de mon rendez-vous à la fin d’août, l’équipe de chirurgie plastique a pratiqué une petite intervention pour retirer le fragment de balle qui était toujours dans ma jambe.
Aujourd’hui, je dois encore me rendre chaque année à l’hôpital pour voir l’équipe de soins vasculaires afin de passer un test de pression systolique chevillebras qui permet d’évaluer la circulation sanguine dans ma jambe et de s’assurer que tout fonctionne toujours bien. C’est grâce à mon chirurgien vasculaire, le Dr Sudhir Nagpal et à son équipe que je suis parvenu à un tel rétablissement.
« J’ai couru mon premier parcours de 5 km moins de 60 jours après la fusillade. »
Mon rétablissement a été impressionnant. Je me suis rendu à mon troisième ou quatrième rendez-vous à l’hôpital sans béquilles et j’ai couru mon premier parcours de 5 km dans les 60 jours qui ont suivi la fusillade. Je me suis ensuite remis à patiner. J’ai fait beaucoup de progrès rapidement et l’équipe de L’Hôpital d’Ottawa a assurément été la première étape – elle m’a donné la possibilité de continuer à me battre.
C’est après ma sortie de l’hôpital que j’ai réalisé que cette expérience avait changé ma vie à bien des égards. J’ai eu un regard différent sur la vie et c’est là que mon nouveau parcours de vie a commencé. Je me suis tracé un nouveau plan de vie.
L’idée de gravir les échelons dans une entreprise était désormais dans le rétroviseur. J’ai créé Hit the Ground Running, un organisme caritatif qui aide les survivants de traumatismes à atteindre leur nouveau niveau de pleine fonctionnalité. Tout a commencé au moment où, allongé sur le sol et perdant énormément de sang, je me suis demandé si je serais fier de ce que je laisse derrière moi si je mourais ce jour-là. Ce ne sont peut-être pas les pensées typiques d’un jeune homme de 23 ans, mais c’est ce qui m’a amené à changer mon plan de vie pour aider autrui.
Aujourd’hui, quatre ans plus tard, je souhaite vous remercier. Tout d’abord, je tiens à remercier Yanick Charron, agent du Service de police d’Ottawa, qui s’est rapidement porté à mon secours et m’a donné une chance de me battre. Je tiens à remercier ensuite tous les chirurgiens et les professionnels de la santé talentueux de L’Hôpital d’Ottawa. Compte tenu de la nature de mes blessures, je sais qu’il existe une réelle possibilité que je n’aie pas survécu sans un centre de traumatologie de calibre mondial doté de la crème des spécialistes –, et j’aurais certainement perdu ma jambe.
Je me revois allongé sur le sol me demandant si j’allais vivre. Je me vois aujourd’hui à vivre cette vie formidable que j’aime et qui m’amène à aider d’autres personnes qui ont vécu une expérience très similaire à la mienne. J’en suis vraiment reconnaissant et j’aime ma vie.